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Kateb Yacine, Très Loin de Nedjma  كاتب يسين، من غير نجمة

L’Astre glorifiantEl Alia, au-delà des ruines tombalesA l’entrée du cimetière, une silhouette gracilePapillonne les épitaphes une à une.Le soleil déclinait ses derniers coups d’éclats.La silhouette gracile virevoltait autour des sépultures, quand soudain elle accoste un vieux corps.-Bonsoir ! Risquait-elle timideLe vieux corps se retourna avec beaucoup de peine : Bonsoir ! répliqua t il d’une voix presque éteinteVous me paraissez perdue ?!-En effet, ce cimetière est immense ! Pardonnez-moi de vous déranger !-Vous ne me dérangez point !-Depuis voilà des heures que je cherche la tombe de mo… ! Silence brutal, elle rougit.-Le vieux vint à sa rescousse compréhensif : ne vous en faites pas, il est vrai que ce cimetière est si vaste, d’ailleurs il abrite aussi des vivants.N’est ce pas une étrange chose que d’habiter dans un lieu aussi glauque ! (il s’arrêta pensif puis repris)Veuillez m’excuser, je parle trop, donnez moi son nom, je connais bien le lieu, je peux vous être utile.-Oh merci ! Puis toute gênée lâche enfin: je cherche Kateb Yacine.-Le vieux surpris et rieur : Ah oui ! Il s’agit donc de ce bon vieux Kateb, haha.Je pressens qu’il va apprécier votre venue !Vous savez, le monde vivant l’a un peu oublié, mais ici on l’adore, il nous régale en vers et en prose ! -Comment ?!! (Toute hébétée)-Ah pardonnez moi, vous devez avoir hâte de le retrouver, vous voyez le carré à droite, c’est là bas qu’il demeure, encerclé d’autres personnes indispensables.-Ah merci infiniment monsieur !-Ravi de vous avoir rencontré !La silhouette confuse se dirigea vers ce carré, le cœur en rictusCette tombe l’effrayait, elle n’avait jamais pu imaginer Kateb autrement que vivant !-Voilà, j’y suis ! Mon copainElle inspira profondément.-Mon Dieu, elle est dans un sale état.Elle dépoussiéra avec une branche le marbre puis découvrit l’épitaphe.-Alors, c’est ici que tu dors ?! -C’est pour ce satané trou que tu m’as abandonnée !Elle donne le dos à la tombe et ferme les yeux-Qu’as-tu ?Elle reconnut la voix, et toujours dos au marbre :-Rien, une sorte d’amertume m’étreint !-D’une voix paternelle : Grand délice de pouvoir revoir ton visage et entendre la mélodie de ta voix,Luciole de mes ombres,Approche et déverse sur moi ce fiel qui te ronge.-Abattue elle dégaina: Tant d’années se sont écouléesEt ce lien qui nous lie n’a point faiblitJe n’ai trouvé la force,Jusqu’à cette Heure pour affronter ce trou qui te terre.-Cela m’importe peu,Astre glorifiant,Comment va donc le peuple ?-Perdu, nous somme tous perdusLa nation, notre identité, notre cultureRéduites au néant !Nous somme enterrés vivants !Et toi, ils t’ont oublié,Ton combat, tes idéesPlus rien ne subsiste.Ils te réduisent minablement à une amourette, à une romance mythifiéeTout est dévoyé.Ils t’ont même réduit au blasphème !Sale époque.Elle tomba sur les genoux, des larmes couvraient son visage.Il l’entoure de sa présence : Détrompe-toi,Il subsiste encore un espoir, aussi ténu soit il.Lève tes yeux et regarde comme un ciel étoilé est si beau !Sais-tu d’où vient sa beauté ?De ce duel entre la lumière et l’obscurité,Les ténèbres semblent cruellement l’emporterMais quand on regarde plus longtempsDes lumières apparaissent, et encore d’autres par iciEt d’autres par là,Ces lumières sont mon espoir enchainéAu cœur des ténèbres.Relève-toi et sois un bon exemple…Silence.Ce que tu dis là ne sont que de douces illusions, Ne crois tu pas ?Silence.Tu es reparti ? Parle !! Je ne t’entends plus !Une brise emporta ses larmesAmère,La silhouette gracile caressa tendrement le marbreEt s’en alla, les yeux accrochés au firmamentSigné Djermane Amyra

L'Histoire doit être dans le Théâtre

 

Entretien avec Kateb Yacine

 

Ariette Casas : J'aimerais que tu me parles de ce que tu fais actuellement en Algérie, les derniers projets de pièces sur lesquels tu travailles mais aussi, de manière plus générale, sur ce qui se passe au niveau du théâtre.

 

Kateb Yacine : Depuis 1978 je suis avec ma troupe au théâtre Régional de Sidi Bel Abbès. Au départ, nous avons rencontré des problèmes parce que ce théâtre ne fonctionnait pas, c'était simplement une salle avec un directeur de salle et deux machinistes. Il a donc fallu structurer ce théâtre, lui donner une administration, recruter des personnels. Cela nous a demandé plusieurs années. À présent le théâtre fonctionne, nous sommes environ 45. Nous avons 25 acteurs dont une seule actrice.

 

A. Casas : C'est un problème ?

K. Yacine : Oui, c'est un problème. En particulier pour nous. Mais je crois que c'est un problème pour l'ensemble du théâtre algérien. Le manque d'actrice, le manque de femmes qui travaillent au théâtre comme actrice. Nous avons un grand rayon d'action puisque Sidi Bel Abbès se situe entre plusieurs grandes villes, Tlemcen, Mascara, Saïda, Béchar et même le Sud. Notre champ d'action est donc très vaste puisque sur ce territoire-là, nous sommes le seul théâtre régional. Nous avons essayé de toucher toutes ces villes et même la campagne. Au début, notre idée était de passer au peigne fin la Willaya de Sidi Bel Abbès. Nous avons organisé  96 des spectacles à l'échelle des daïra, des APC. Nous avons réussi à toucher des gens qui d'habitude n'allaient pas au théâtre. Nous avons aussi beaucoup joué pour l'armée parce que c'est une région où il y a beaucoup de jeunes appelés dans les casernes. Nous avons organisé des spectacles qui ont eu un impact. Nous avons aussi été un peu à la campagne et là nous n'avons pas été assez loin par manque de moyens. C'est un gros problème, ce manque de moyens. Cette année notre budget était nettement insuffisant, la masse salariale faisait le double du budget qu'on nous a alloué pour l'année.

A. Casas : Comment faites-vous dans ces cas-là ?

K. Yacine : Tout cela limite beaucoup nos possibilités d'action et le problème concernant le paiement des travailleurs n'est pas 97 résolu en soi. Nous avons tout juste réussi à boucler et payer les travailleurs, mais il y a d'autres problèmes. Il y a les frais techniques d'un spectacle. On ne peut pas monter un spectacle sans rien. Notre forme de spectacle est très économe, très économe de moyens parce que nous jouons sans décors, sans costumes, sans éclairages, sans lumière, sans rien. Nous jouons toujours plein feu. Nous avons des musiciens sur scène et les acteurs utilisent un minimum d'accessoires et des semblants de costumes comme une gandoura, à la limite une veste et c'est tout, ça s'arrête là.

A. Casas : Ce n'est donc pas un choix esthétique de votre part ?

K. Yacine : Au départ, c'était une nécessité puisque nous voulions circuler, bouger, aller un peu partout, plus on bouge et moins il faut être lourds, surtout si on n'a pas de moyens de locomotion. Nous avions au départ un manque de moyens de locomotion flagrant. Nous avons réussi à avoir deux estafettes. Nous sommes le seul théâtre régional qui n'a pas de car jusqu'à présent. Alors une troupe sans car, c'est comme une troupe infirme.

A. Casas : Les autres théâtres ont des moyens de locomotion ?

K. Yacine : Oui, parce qu'ils existent depuis plus longtemps que nous, donc ils ont plus de moyens que nous. Leurs budgets sont plus élevés. Ce manque de moyens de locomotion a été et reste notre principal problème puisqu'une de nos estafettes vient de brûler sur la route. Nous avons aussi des problèmes de logement. Notre troupe venait d'Alger, il a donc fallu commencer par loger ceux qui venaient d'Alger, et puis il y a eu ceux de Sidi Bel Abbès que nous avons recrutés /.../ Ce sont des problèmes réels, des problèmes matériels qui ne manquent pas d'entraver le travail. Cette année, nous avons une création sur le football, c'est-à-dire l'aliénation par le football. C'est une pièce brésilienne adaptée par un jeune réalisateur Malekédine Kateb /.../ C'est une pièce qui ne demande pas trop de moyens, c'est un monologue. A neuf personnes on peut la monter /.../ Je suis aussi en train d'écrire, plus précisément en train de me documenter sur l'Afrique du Sud pour écrire une pièce sur tout ce qui se passe en Afrique du Sud à l'heure actuelle, pour sensibiliser les Algériens sur ce qui se passe là-bas. Je commence à peine, je ne peux pas en parler parce que le manque de documentation me 98 pose de grands problèmes. Je m'aperçois que nous ignorons beaucoup ce qui se passe ces derniers temps, aussi j'essaie de rassembler beaucoup de documentation, de lire beaucoup de livres, d'écouter de la musique. Je pense que nous allons mettre cela sur scène dans le courant de l'année. ,!

 A. Casas : Et ce sera en dialectal ?

 K. Yacine : Ah oui ! Nous travaillons toujours en dialectal, pour la bonne raison que nous voulons toucher l'ensemble du public et pas seulement une partie du public. C'est-à-dire les gens du peuple, le grand public.

A. Casas : Quel a été votre répertoire ces dernières années ?

K. Yacine : Nous avons créé une pièce sur la Palestine que nous appelons « Palestine trahie » qui retrace l'histoire de tout ce qui s'est passé. C'est une longue pièce qui d'ailleurs remonte même à l'histoire des religions, qui remonte très loin de manière à éclairer le conflit et jusqu'ici c'est une pièce qui a toujours eu un grand succès, y compris auprès des Palestiniens qui l'ont vue. Nous avons une autre pièce qui est centrée sur le conflit du Sahara occidental, et qui s'appelle «Le Roi de l'Ouest». C'est encore l'Histoire, parce que je suis très attaché à cette idée : l'Histoire au théâtre. Lorsque je suis allé au Vietnam, j'ai été frappé par le fait que les Vietnamiens ont porté presque toute leur histoire au théâtre, depuis l'invasion chinoise il y a bien longtemps, plus d'un millénaire.

Je voudrais faire un peu la même chose en Algérie, c'est-à-dire porter notre histoire ainsi que notre histoire brûlante actuelle, parce que là je touche à des thèmes qui sont d'actualité. Ceci nous impose souvent de remanier les pièces en fonction de l'actualité. Tous les jours, il se passe des choses qui nous imposent chaque fois de réexaminer, de rééquilibrer, d'actualiser, surtout en ce qui concerne la Palestine. Ce n'est jamais fini. C'est un travail qui se fait et qui continue toujours à se faire. Cela nous amène en définitive à modifier surtout la fin.

Par exemple, à l'heure actuelle, nous nous arrêtons aux massacres de Sabra et Chatilla, mais chaque fois qu'il se passe quelque chose, il nous faut faire d'autres scènes qui actualisent. C'est la même chose pour « Le Roi de l'Ouest », ça retrace l'histoire d'un conflit, donc ça nous ramène à parler de tout ce qui s'est passé depuis que le conflit existe et même bien avant. 99 Nous avons aussi une pièce qu'à un moment donné j'avais appelée « La voix des femmes », enfin je ne sais pas, on verra, parce que ce n'est pas fini. Je voudrais consacrer une pièce au rôle des femmes dans l'Histoire en partant de la Kahina. Jusqu'à présent, quel rôle les femmes ont-elles joué dans notre histoire en Algérie ? C'est le thème, mais il est très difficile de faire cela à partir d'une seule femme étant donné tout ce qu'il y a à dire. Cette pièce, je la fais commencer à Tlemcen. C'est un peu l'histoire du conflit entre le Maghreb central, qui est aujourd'hui l'Algérie, et le royaume de l'Ouest, qui est aujourd'hui le Maroc. C'est la formation du Maghreb central, c'est-à-dire la première ébauche d'un État algérien face à l'État marocain. Il y avait de nombreux conflits, nous étions aussi en conflit avec les royaumes de l'Est. La période que j'ai traversée au départ c'est le siège, le second siège de Tlemcen

. C'est un des plus longs sièges de l'Histoire. Je crois que ça a duré huit ans. Huit ans où Tlemcen était assiégée et où le roi de l'Ouest a édifié une ville, une autre ville que Tlemcen, tout près, et qu'il a appelée Mansoura, la victorieuse, dans l'idée de gagner. Et Tlemcen a vécu comme ça un siège terrible, un siège très éprouvant où les femmes ont joué un grand rôle. Je ne peux pas entrer dans le détail maintenant, mais tout au long de la pièce on voit Yamor Hacen, un des premiers chefs de tribu, aux prises avec le roi de l'Est qui était à l'époque Abou Zakaria. La mère de Yamor Hacen, Sotenissa, ce qui veut dire « la voix des femmes », (c'est un peu pour cela que je voulais appeler la pièce «La voix des femmes ») a joué un grand rôle.

C'est en lisant Ibn Kaldoun que j'ai découvert cette histoire. C'est vraiment très important de lire un livre comme l'histoire des berbères en quatre volumes d'Ibn Kaldoun, car il contient une mine. Il est un peu difficile à lire à certains moments mais il raconte l'histoire de manière très claire, très cohérente. Donc lorsque Abou Zakaria a marché sur la ville de Tlemcen qu'il a pratiquement investie, Yamor Hacen a été obligé de quitter la ville et de se réfugier dans la montagne au Sud. C'est à ce moment-là que la mère ď Yamor Hacène, Sotenissa, est intervenue.

Elle est allée voir Abou Zakaria et l'a convaincu que cette guerre n'avait pas de raisons d'être et qu'il fallait y mettre fin. Yamor Hacen est revenu à Tlemcen et a rencontré Abou Zakaria. C'est une victoire extraordinaire remportée grâce à la sagesse des femmes. C'est de la politique au sens le plus haut du terme. C'est de la vrai politique puisqu'elle a servi les tribus, les deux peuples. Elle a mis fin à l'effusion de sang, c'est quand même quelque chose d'important ! 100 Tout au long de l'Histoire, il y a eu encore des femmes comme ça. Bon, je voudrais montrer leur rôle jusqu'à présent. C'est vraiment un sujet énorme. Tout ce que les femmes ont pu faire.

Par exemple, récemment en Algérie, il y a eu un film sur les condamnés à morts pendant la révolution, c'était pour le trentième anniversaire. Et voilà, comme par hasard, on y a oublié les femmes. Cela n'est pas passé inaperçu. Les femmes se sont réunies et finalement un réalisateur a fait un second film sur les femmes condamnées à mort. Cela montre bien comment ce rôle est occulté, gommé. C'est pourquoi il faut le mettre en lumière. C'est un peu ça notre théâtre. C'est un théâtre évidemment politique dans la mesure où il débouche sur l'actualité brûlante, sur l'histoire que nous vivons aujourd'hui. Naturellement, c'est difficile à faire.

A. Casas : Est-ce que tu penses récrire un jour ces textes en français, c'est important je crois ? ,

K. Yacine : Je pense qu'il faudrait les traduire. Il y a une tunisienne, Frida Matmati qui fait une thèse là-dessus. Elle a traduit en grande partie ce travail.

A. Casas : Est-ce que cela a été publié ?

K. Yacine : Non pas encore. Chez les éditeurs, le théâtre ne se vend pas et les problèmes de l'édition en général sont difficiles. Il existe une maison d'édition à Tunis, dirigée par un ancien acteur, metteur en scène bien connu, qui s'appelle Mohamed Driss. Lui je crois qu'il va publier « Mohamed prends ta valise » en dialectal. Il y a un tiers de la pièce qui est en français. C'est une pièce que j'avais faite en 1971 et qui était destinée à rémigration. Donc un tiers de la pièce s'adressait aux travailleurs français et les deux tiers aux Algériens. Je pense que ce sera la première pièce qui sera publiée.

 A. Casas : Tu sais que beaucoup de gens attendent avec impatience tes derniers écrits (en français). Pourrais-tu nous parler de cette prochaine publication. , , ,

K. Yacine : Oui, cette prochaine publication est un recueil de poèmes qui ont paru dans des revues, dans des journaux. Ils n'avaient pas encore été réunis en volume. C'est Jacqueline Ar- 101 naud1, qui a consacré par ailleurs une thèse sur la littérature maghrébine d'expression française, qui a eu l'idée de les réunir. C'est elle qui m'a proposé cela en insistant sur le fait que les étudiants ont besoin de connaitre ces choses qui sont disséminées dans les revues et pour qu'ils ne perdent pas de temps à les chercher. L'idée de les publier dans un seul volume, je pense que c'est vrai, c'est utile. Donc cela va paraitre chez Simbad au mois de septembre (1986).

A. Casas : Pour tes écrits plus récents, où en es-tu ?

K. Yacine : Là c'est le grand problème. J'ai beaucoup de choses en chantier mais qui n'aboutissent pas, parce que les difficultés d'existence, le travail avec le théâtre, les problèmes de famille et des tas de choses m'ont toujours empêché de travailler jusqu'à présent comme je l'entends. Moi, je ne suis pas quelqu'un qui travaille tous les jours. D'abord, je ne peux pas. Si je travaille, il me faut une longue période de temps où je ne fais que ça, pour retrouver, rassembler ce que j'ai fait et me mettre vraiment au boulot. Il me faut déjà dix jours rien que pour me chauffer un peu, et puis après il ne s'agit pas d'être interrompu. Or moi, je suis toujours interrompu avant même d'arriver aux dix jours. Donc les papiers s'entassent, les notes se mêlent, à tel point que je n'ose presque plus y toucher. J'attends depuis longtemps une période favorable, un moment où je pourrai enfin couver tous ces œufs et les amener jusqu'à éclosion. C'est ça le problème.

A. Casas : Quels seraient les projets que tu aimerais amener à terme ?

K. Yacine : Pour moi, il y a toujours eu plusieurs choses. D'ailleurs, toutes ces choses-là sont une même chose. Quand je travaille, je commence par n'importe quoi, un bout de roman, ou une poésie, ou du théâtre, et tout de suite je me rends compte que ça ramène à d'autres choses que j'avais déjà en tête, sur lesquelles j'ai pris des notes, sur lesquelles je commençais à écrire. Donc après, ça devient une seule et même chose qui embrasse toutes les formes. Alors après, bon, il y a tout le travail qui consiste à savoir s'il faut couper un morceau pour en faire un roman, ou s'il faut 1. Jacqueline Arnaud, universitaire, amie de Kateb Yacine, décédée à la fin des années 1980. 102 reprendre le théâtre, s'il faut aussi revoir la poésie. Tout cela, ça va ensemble. Je ne peux pas le savoir avant de m'y mettre. Il faut d'abord que je me mette sérieusement au travail pendant plusieurs mois pour voir à peu près ce que ça pourrait prendre comme forme. .

A. Casas : Alors est-ce possible de prendre une année sabbatique, là, bientôt?

K. Yacine : Je ne sais pas, ça n'existe pas chez-nous les années sabbatiques, au théâtre. Mais il est évident qu'il va falloir un jour que je m'arrête, que je prenne une longue période et que je laisse le théâtre pendant un certain temps. Mais, pour le faire, il y quand même des problèmes à résoudre. Il faut que la troupe puisse travailler normalement. Je crois que c'est en train de se faire. Notre troupe manque de formation. Bon, maintenant, elle a de l'expérience, mais c'est très difficile d'aboutir, de faire travailler une troupe. Jusqu'à présent, c'était moi l'animateur en quelque sorte. J'étais le lien qui permettait à cette troupe de travailler. Enfin, il s'agit d'aboutir à ce qu'ils travaillent sans moi. Cela se fait, ça commence à se faire. Ils prennent l'habitude de travailler en groupe, donc d'accepter la responsabilité de quelques-uns, de se discipliner. Cela fait quand même quinze ans que nous travaillons ensemble ; je crois que maintenant ils sont très capables de le faire.

A. Casas : Comment travaillez-vous ?

K. Yacine : Nous travaillons essentiellement de manière collective. Le texte lui-même est fait collectivement. Bon, bien sûr, il faut quelqu'un à l'origine, l'initiative de départ, il faut l'idée. ,

A. Casas : Donc tu lances une idée.

K. Yacine : Bon, en général, j'ai une idée à laquelle je pense pendant un certain temps. Après, j'écris une scène ou deux, parfois en français, parfois même en arabe populaire mais en caractères latins. Je me débrouille comme je peux. Une fois que j'ai écrit ces scènes, on les traduit ensemble, et c'est là que se fait le texte, c'est au cours de la traduction du français à l'arabe ou bien lorsque c'est déjà en arabe, on le met en scène, on lui donne une forme. Je crois qu'en tout cas, pour nous, c'est la meilleure manière de travailler.

 A. Casas : Sur le plan technique, comment ça se passe ? Vous enregistrez ?

K. Yacine : De ce point de vue-là, nous avons beaucoup de lacunes. Nous n'avons pas beaucoup d'enregistrements de nos textes et encore moins de nos représentations. Les représentations sont souvent des événements en soi, les réactions du public, l'électricité qu'il y a dans l'air. Nous aurions dû systématiquement enregistrer ça. Nous ne l'avons pas fait, du moins pas toujours. Comme nous n'avons pas de textes, des amis nous demandent parfois les bandes, et puis elles s'égarent. Nous sommes assez mal équipés et mal organisés. _

 A. Casas : Est-ce qu'il y a eu des films faits sur ton théâtre, est-ce qu'il y a des reportages qu'on peut retrouver?

K. Yacine : II y a eu des films faits par la télévision canadienne dans lesquels il y aurait des bouts de films sur nous. Ils ont montré comment on travaillait lorsqu'on était à Alger. Enfin, ce qu'il faut dire, c'est que la télévision algérienne n'a jamais rien montré, sauf une fois dans un flash.

A. Casas : Comment, un flash ? On n'a jamais montré une de tes pièces dans son entier ?

K. Yacine : Jamais. Alors que tous les autres...

A. Casas : C'est parce que cela ne se fait pas pour le théâtre ?

K. Yacine : Si ça se fait, bien sûr, ça se fait. Toutes les pièces des théâtres régionaux sont déjà enregistrées. Donc, il y a un problème. D'autant plus, comme je le disais tout à l'heure, il y a un problème de budget. Les autres troupes ont aussi des difficultés sur le plan budgétaire, mais pour elles le moyen de le boucler, c'est justement de passer à la télévision. Il y a aussi un autre moyen d'augmenter le budget c'est de faire des tournées dans les sociétés nationales, parce que là on est payé.

A. Casas : Que faut-il faire pour passer dans les sociétés nationales ?

K. Yacine : C'est simple, il suffit de se mettre d'accord avec la direction d'une société. Il y a 14 000 travailleurs par exemple à la 104 SNS1, on peut organiser une dizaine de représentations. Nous, dernièrement, nous avions abouti à un accord avec la direction mais c'est le syndicat2 qui a émis des réticences. Bref, nous remarquons que, pour nous, actuellement, c'est de plus en plus difficile d'accéder aux sociétés nationales, ce qui réduit beaucoup nos moyens à tous les points de vue, bien sûr du point de vue matériel mais aussi pour toucher tous ces travailleurs. Voilà nos difficultés actuelles.

A. Casas : Est-ce que vous avez la possibilité de faire connaître votre travail à l'étranger ?

K. Yacine : Oui, il y a eu des échos.

A. Casas : Avez-vous la possibilité de faire des tournées ?

K. Yacine : Justement, récemment, nous avons été invités à trois festivals internationaux de théâtre, deux en Yougoslavie, un en Bulgarie et nous n'avons pas pu y aller.

A. Casas : Toujours pour des raisons budgétaires ?

K. Yacine : Non, non, pour des raisons qui, au fond, n'en étaient pas. On nous a dit, restez à Alger, on a besoin de vous, etc. Mais ce n'était pas vrai. Nous avions une chance en Yougoslavie, et en Bulgarie aussi, d'avoir le premier prix international.

A. Casas : Qui est-ce qui donne V accord lorsqu'on vous contacte, ce n'est pas toi qui peux décider d'y aller ?

K. Yacine : Cela passe par le ministère. Bon, on nous avait avancé des raisons qui n'en étaient pas. Nous devions rester à Alger parce qu'il allait y avoir un festival. Mais nous avions largement le temps d'aller, de revenir et d'assister au festival. C'était des prétextes. Ils ne voulaient pas que notre troupe sorte. Nous dépendons du ministère de la Culture, nous sommes un théâtre d'État et c'est justement là le hic.

A. Casas : Peux-tu nous parler de la situation en général du théâtre en Algérie aujourd'hui ? 1. Société nationale de la sidérurgie. 2. Le syndicat était sans doute sous l'influence du parti unique. Les prises de position de Kateb Yacine étaient souvent dérangeantes.

К. Yacine : On ne peut pas dire qu'il se porte mal dans la mesure où il existe. Il y a un théâtre vivant. Mais en fait, il ne se porte pas bien parce qu'il n'est pas conçu comme il faudrait. Il n'y a pas une vraie politique du théâtre en Algérie.

A. Casas : Est-ce qu'il vous arrive de collaborer sur des spectacles entre troupes ? .

K. Yacine : Cela arrive mais comme chaque troupe est plongée dans ses propres problèmes et qu'ils ne manquent pas, il y a très peu d'échanges. Depuis l'an dernier (1985), il y a un festival national du théâtre professionnel. Je crois que ça va continuer cette année. C'est déjà une chose, ça permet aux théâtres régionaux de se rencontrer et toutes les troupes sont à Alger à ce moment-là. Mais ce n'est pas encore organisé comme il le faudrait.

A. Casas : Y a-t-il des séminaires, des colloques sur le théâtre ?

K. Yacine : II y a eu un séminaire, il y a deux ans, mais il n'a servi à rien. Il n'y avait que les directeurs des théâtres et les administrateurs, les sections syndicales n'étaient pas invitées, or elles avaient sans doute beaucoup de choses à dire.

A. Casas : Est-ce qu'il y a eu d'autres manifestations sur le théâtre qui ont compté ?

K. Yacine : Le dernier festival maghrébin de théâtre qui s'est déroulé en Algérie c'était en 1971. Il y a eu aussi une rétrospective en 1980, je crois. On m'avait demandé d'amener tout ce qu'on avait fait. J'ai amené « Palestine trahie ». Il y a une pièce qui n'a pas été acceptée, c'est « Mohamed prends ta valise ». Les intégristes avaient menacé de faire couler le sang si on la jouait. Je suis allé voir le ministère et ils m'ont dit qu'il ne fallait pas la présenter. Il y avait tous les théâtres régionaux. ,

A. Casas : Est-ce qu 'il y a des spécificités, des tendances selon les théâtres, est-ce qu'ils font des créations, des adaptations ?

 K. Yacine : Bien sûr. Cela dépend d'un tas de facteurs. C'est évident que les pièces d'Alloula ont un caractère particulier. Ce n'est pas le théâtre de Benaïssa, par exemple. C'est selon les personnalités. Mais ça reste quand même le théâtre algérien en 106 langue populaire et qui a son impact, qui touche les gens. Les dernières pièces, aussi bien de Bénaïssa que d'Alloula ont touché. La pièce d'Alloula, Le Goual1, est passée dernièrement à Paris. Bénaïssa, c'est toujours l'Algérie, c'est le théâtre actuel.

A. Casas : Un théâtre ancré dans la réalité.

 K. Yacine : On ne peut pas faire un autre théâtre en Algérie, enfin pas à ma connaissance. Bien sûr, on peut faire des pièces historiques, mais ça nous ramène à la réalité d'aujourd'hui. Parce que c'est ce que les gens attendent. Il y a aussi des adaptations même en berbère. Actuellement, il y a à Paris un poète, Moyya, qui a traduit Brecht, Becket, Pirandello, tout ça en tamazigh.

A. Casas : Est-ce que ces pièces sont passées en Algérie ?

 K. Yacine : Non, elles passent dans les troupes de l'émigration (en France). J'espère qu'un jour ça se jouera en Algérie. C'est très important, parce que beaucoup de gens nous disent, le berbère c'est une langue morte, inapte, etc. Ce n'est pas vrai. L'arabe populaire, c'est pareil, il peut exprimer une idée, il peut exprimer un théâtre moderne.

A. Casas : Aujourd'hui en Algérie tout le répertoire est en dialectal ?

K. Yacine : Oui, depuis l'indépendance tout ce qui a été fait l'est à 99 %. Malgré tous les efforts qui ont été faits pour l'arabe littéraire, il n'y a rien à faire, c'est toujours l'arabe populaire même au cinéma. On verrait mal un film en littéraire, il y a le public quand même ! L'arabe littéraire fait des ravages surtout à la télévision, mais dans le théâtre et le cinéma algérien, c'est nous qui avons gagné la partie.

A. Casas : Tu as eu des expériences de radio, de cinéma ?

K. Yacine : On avait fait un film sur le retour des cendres de l'émir Abdelkader, car on les a ramenées en Algérie. On a beaucoup parlé de lui à ce moment-là. C'était l'occasion de faire un film sur 1. El Goual, adaptation par Alloula du Journal d'un fou de Gogol.  le thème des ancêtres. On l'avait fait avec Issiakem. Il a dessiné des plaques de verre sur la base de textes que j'avais, ensuite on a fait collaborer des acteurs.

C'était un film qui nous a coûté en tout 300 dinars. C'est la preuve qu'on pouvait faire du travail pour la télévision sans trop d'argent. Nous avons eu deux premiers prix internationaux au festival de Belgrade. Le malheur, c'est qu'on a laissé l'original du film aux Égyptiens à Alexandrie et qu'ils l'ont perdu.

La presse nationale (algérienne) n'a même pas annoncé les deux premiers prix que nous avons eus, ce qui montre l'ampleur des cabales que font certains, les ennemis que l'on se fait. On a gardé une copie, mais avec le temps je me demande même ce qu'elle est devenue, parce qu'il n'y a pas même eu une projection. On dit que ça existe encore, mais je ne sais pas dans quel état. De toutes façons, il n'y a plus eu de possibilité de faire des films. 

L'Histoire doit être dans le Théâtre
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