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Kateb Yacine, Très Loin de Nedjma  كاتب يسين، من غير نجمة

L’Astre glorifiantEl Alia, au-delà des ruines tombalesA l’entrée du cimetière, une silhouette gracilePapillonne les épitaphes une à une.Le soleil déclinait ses derniers coups d’éclats.La silhouette gracile virevoltait autour des sépultures, quand soudain elle accoste un vieux corps.-Bonsoir ! Risquait-elle timideLe vieux corps se retourna avec beaucoup de peine : Bonsoir ! répliqua t il d’une voix presque éteinteVous me paraissez perdue ?!-En effet, ce cimetière est immense ! Pardonnez-moi de vous déranger !-Vous ne me dérangez point !-Depuis voilà des heures que je cherche la tombe de mo… ! Silence brutal, elle rougit.-Le vieux vint à sa rescousse compréhensif : ne vous en faites pas, il est vrai que ce cimetière est si vaste, d’ailleurs il abrite aussi des vivants.N’est ce pas une étrange chose que d’habiter dans un lieu aussi glauque ! (il s’arrêta pensif puis repris)Veuillez m’excuser, je parle trop, donnez moi son nom, je connais bien le lieu, je peux vous être utile.-Oh merci ! Puis toute gênée lâche enfin: je cherche Kateb Yacine.-Le vieux surpris et rieur : Ah oui ! Il s’agit donc de ce bon vieux Kateb, haha.Je pressens qu’il va apprécier votre venue !Vous savez, le monde vivant l’a un peu oublié, mais ici on l’adore, il nous régale en vers et en prose ! -Comment ?!! (Toute hébétée)-Ah pardonnez moi, vous devez avoir hâte de le retrouver, vous voyez le carré à droite, c’est là bas qu’il demeure, encerclé d’autres personnes indispensables.-Ah merci infiniment monsieur !-Ravi de vous avoir rencontré !La silhouette confuse se dirigea vers ce carré, le cœur en rictusCette tombe l’effrayait, elle n’avait jamais pu imaginer Kateb autrement que vivant !-Voilà, j’y suis ! Mon copainElle inspira profondément.-Mon Dieu, elle est dans un sale état.Elle dépoussiéra avec une branche le marbre puis découvrit l’épitaphe.-Alors, c’est ici que tu dors ?! -C’est pour ce satané trou que tu m’as abandonnée !Elle donne le dos à la tombe et ferme les yeux-Qu’as-tu ?Elle reconnut la voix, et toujours dos au marbre :-Rien, une sorte d’amertume m’étreint !-D’une voix paternelle : Grand délice de pouvoir revoir ton visage et entendre la mélodie de ta voix,Luciole de mes ombres,Approche et déverse sur moi ce fiel qui te ronge.-Abattue elle dégaina: Tant d’années se sont écouléesEt ce lien qui nous lie n’a point faiblitJe n’ai trouvé la force,Jusqu’à cette Heure pour affronter ce trou qui te terre.-Cela m’importe peu,Astre glorifiant,Comment va donc le peuple ?-Perdu, nous somme tous perdusLa nation, notre identité, notre cultureRéduites au néant !Nous somme enterrés vivants !Et toi, ils t’ont oublié,Ton combat, tes idéesPlus rien ne subsiste.Ils te réduisent minablement à une amourette, à une romance mythifiéeTout est dévoyé.Ils t’ont même réduit au blasphème !Sale époque.Elle tomba sur les genoux, des larmes couvraient son visage.Il l’entoure de sa présence : Détrompe-toi,Il subsiste encore un espoir, aussi ténu soit il.Lève tes yeux et regarde comme un ciel étoilé est si beau !Sais-tu d’où vient sa beauté ?De ce duel entre la lumière et l’obscurité,Les ténèbres semblent cruellement l’emporterMais quand on regarde plus longtempsDes lumières apparaissent, et encore d’autres par iciEt d’autres par là,Ces lumières sont mon espoir enchainéAu cœur des ténèbres.Relève-toi et sois un bon exemple…Silence.Ce que tu dis là ne sont que de douces illusions, Ne crois tu pas ?Silence.Tu es reparti ? Parle !! Je ne t’entends plus !Une brise emporta ses larmesAmère,La silhouette gracile caressa tendrement le marbreEt s’en alla, les yeux accrochés au firmamentSigné Djermane Amyra

Autobiographie

En janvier 1948, Kateb Yacine adresse à Gabriel Audisio une longue lettre dactylographiée, qui se présente comme un curriculum vitae :

 

 

Cher Ami,

À l’instant, je me souviens que vous m’aviez le jour de mon départ demandé de vous envoyer quelques détails biographiques.

 

Je suis né le 26 août 1929 à Condé Smendou (Constantine). Mon père et ma mère sont tous deux arabes de la région de Souk Ahras. Mon grand-père maternel, Si Ahmed el Ghazali Kateb, était considéré comme un des plus grands poètes de langue arabe en Afrique du Nord.

 

Vous pourrez trouver de ses preuves dans les anthologies éditées par les Ulémas, et dans diverses revues de Tunisie, d’Egypte et de Syrie. M. Millerand, alors Président de la République française, lui écrivit une lettre élogieuse où il lui proposait d’élever un buste à son effigie. Mon grand-père ne répondit pas à la lettre. Mes aïeux étaient tous à l’arrivée des français magistrats (Cadis) ou Ulémas. Les nécessités de l’état-civil firent que les frères dont nous descendons prirent deux noms différents. L’un donna naissance à la famille Cadi qui compta Cadi Chérif, le premier colonel d’artillerie sorti premier de Polytechnique, et l’autre s’appela Kateb (écrivain) et ses fils furent tous lettrés en arabes.

Mon grand-père paternel, Kateb Salah, fut un bon grammairien, d’autres Kateb furent professeurs d’arabe, écrivains, interprètes. L’ensemble de la famille était désigné avant la domination française sous le nom de Kablout. Cadi Abdelkader n’est pas notre parent, il est d’Aïn Beïda, alors que nous sommes de Souk Ahras.

 

La première conseillère municipale algérienne, élue en 1945, est Zouleïkha Kateb, ma cousine. Malheureusement, notre famille semble frappée du mal d’extinction : ces deux dernières années, elle a perdu plus de quinze de ses membres. Notre famille est très estimée, mais nous passons volontiers pour des bohèmes dénués de pratique et pour des amateurs d’alcool et de musique orientale. 


[Ajouté à la main : Nous sommes aussi tous pauvres et imprévoyants.]

Pour ma part, j’ai fait d’excellentes études jusqu’en quatrième. Puis j’ai négligé mes études pour lire comme un forcené et écrire. J’ai écrit mon premier poème à onze ans, c’était une satire. De onze ans à quinze ans, j’ai lu Baudelaire et Rimbaud, et des livres effarants, jusqu’à Proust. Je n’ai jamais été attiré par les romantiques.

Par contre, j’ai tout de suite aimé Cocteau, Eluard.

 

Le 8 mai 1945, j’étais encore potache, j’ai été arrêté pour atteinte à la sûreté  intérieure et extérieure de l’état, détention d’armes, participation à bandes armées, propos séditieux. Libéré quelques mois après, je me trouvais lancé dans une tournée de conférences révolutionnaires, et je fis imprimer un petit recueil intitulé Soliloques.

 

Pour échapper à la facilité et au ridicule de "conférencier", je suis venu à Paris, à la fois pour travailler, apprendre et changer d’air.

 

Comme vous le voyez, je suis un piètre biographe, mais l’essentiel était de dire ces choses… je vous salue bien, tout honteux de ce style, mais j’essaierai de me racheter en vous envoyant bientôt "L’Existence des laboureurs", que je termine.

Autobiographie
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