7 Octobre 2018
Le moment est venu où, de la quantité des ouvrages parus depuis l’indépendance, se dégage une qualité.
Ce livre se lit d’un trait, aussi aisément qu’un roman d’aventures
Brahim, le personnage derrière lequel se tient le narrateur, s’évade d’une prison de la province française, dans la ville d’Angers.
Une action soutenue, de fréquents rebondissements tiennent le lecteur en haleine, et l’histoire vécue se confond peu à peu avec l’histoire tout court, emportant dans le même torrent un petit garçon nommé Didouche Mourad, Serkadji, la prison-mère, les grévistes de la faim, le mercenaire Faulques, Max l’insoumis, les amis condamnés à mort qu’on verra marcher à la guillotine…L’auteur reste dans l’ombre, comme si l’écrivain, à son premier roman, n’avait pu se défaire du militant qu’il est aussi, habitué à s’effacer dans l’action collective, même et surtout s’il la dirige.
« Un seul héros, le peuple » lisait-on sur les murs d’Alger, lors des fêtes de l’indépendance.
Deux spectres rasaient les murs en ces heures mémorables, après tant de morts et de disparus.
Le premier spectre, d’autant plus maigre qu’il était de haute taille et sortait de prison, c’était Ahmed Akkache, l’auteur de ce roman, l’ami d’il y a vingt ans, du temps des grandes espérances, l’homme à qui j’envoyai le premier exemplaire du « cadavre encerclé », encore inédit et à qui je pensais en écrivant « Nedjma », compagnon des premiers combats et témoins des premiers balbutiements de l’écrivain en herbe…
Le second spectre, c’était moi, après dix ans d’exil.
L’exil et la prison étaient nos deux écoles. Si l’on faisait le tour des récits de déportation et de captivité depuis les « Souvenirs de la maison des morts » de Dostoïvski, jusqu’aux « Carnets de prison » de l’oncle Ho, en passant par les témoignages des militants révolutionnaires de tous les pays, on s’apercevrait que les tribulations de l’exil et l’ombre de la cellule sont finalement aussi propices à la littérature qu’à la révolution ;
Voici un livre enfin qui répond à l’attente du public.
Il indique une voie à suivre pour notre jeune littérature.
Il arrive à son heure, en l’an X de l’Algérie libre.
KATEB YACINE